mercredi 19 avril 2017

BALKAN TRAFIK A BRUXELLES: COPINAGE ET INTERVIEW


LE COPINAGE:  

Demain, 20 avril, démarre à Bruxelles le Festival Balkan Trafik. J’avais déjà évoqué ce festival dans le blog en 2011, sous la forme d’un copinage assumé, et j’en remets une petite couche cette année. Même si Balkan Trafik propose beaucoup de fanfares, genre que Yougosonic, on le sait, ne met pas au sommet de son palmarès musical perso, j’ai de la sympathie pour cet événement, autant que pour son enthousiaste directeur, l’infatigable Nicolas Wieërs, dont l’approche de ce territoire qui nous passionne tous, me paraît ouverte, sincère et optimiste.


La grande force du festival est de multiplier et de croiser les propositions dans un esprit pertinent de décloisonnement. Au delà des têtes d’affiche et des musiques traditionnelles, où l'offre ne démérite pas en termes de qualité, la programmation est ouverte au jazz, au rock et aux curiosités musicales. A côté des concerts et des DJ’s, le festival propose des rencontres-débats, des projections, de la gastronomie ou des ateliers. Les associations et institutions des communautés balkaniques de Belgique sont impliquées, inscrivant le festival dans une perspective socioculturelle intéressante, évitant le piège d’être uniquement un rendez-vous branché pour jeune Occidental en mal de nouvelles sensations. Tout cela génère une ambiance décontractée et un public bigarré, qui évolue en bonne intelligence dans le superbe bâtiment art-déco de Bozar

Dans la programmation de cette édition, on notera une intéressante fenêtre sur la scène musicale turque avec en particulier Gaye Su Akyol, égérie d’un rock stambouliote oscillant entre arabesques sonores et tonalités empreintées au surf (Rien d’étonnant, soit dit en passant, lorsqu’on sait que l’inventeur du genre, Dick Dale, a des racines au Proche-Orient). 



Cette fenêtre est d’autant plus bienvenue et devient cruellement nécessaire, alors que la Turquie s’enfonce depuis dimanche dernier encore un peu plus dans la dictature. Les ponts avec cette «autre Turquie» seront à l’avenir indispensables. Merci au festival d’indiquer la direction.

Cet aperçu de la programmation ne serait pas complet sans évoquer l’hommage que Balkan Trafik rendra à Stéphane Karo, décédé en fin d’année dernière.
Peu connu du grand public, Stéphane Karo est pourtant à l’origine du boom de la musique tzigane balkanique en Europe Occidentale. 
 
Taraf De Haïdouks avec Stéphane Karo (devant, agenouillé)
Photo (c) Damien Gard.

C’est en effet lui qui a lancé le célèbre groupe Taraf de Haïdouks, ainsi que Mahala Rai Banda et Kocani Orkestar, lequels seront tous présents le 22.4 au festival pour saluer la mémoire de ce Belge devenu un peu tzigane d’adoption. J’avais moi-même rendu hommage à Stéphane Karo sur ma page facebook en novembre dernier, hommage repris, avec mon accord et en toute modestie, par le Courrier des Balkans

* * * *

L'INTERVIEW:

Le festival propose le 22 avril à 17h, en partenariat avec l’Université de Gand, une intéressante rencontre sur la jeunesse des Balkans, avec des jeunes originaires de ce territoire vivant en Belgique. La place et les perspectives de cette jeunesse face à la situation difficile des pays de la région sont des questions clés pour l’avenir. Il est donc important d’aborder cette problématique qui trouve un écho concret sur place avec la mobilisation de la jeunesse serbe contre les résulats des récentes élections présidentielles, lesquelles ont vu la victoire du faux centriste pro-européen mais vrai autocrate crypto-nationaliste Aleksandar Vučić, le tout sur fond de nombreuses irrégularités et d’une campagne électorale inéquitable. J’aurai sans doute l’occasion d’en reparler dans ce blog...

 Manifestation à Belgrade, le 8 avril dernier.

En attendant, j’apporte une modeste et indirecte contribution à cette table ronde via une petite interview accordée par mail au festival sur cette thématique de la jeunesse, que je publie ci-dessous.


Qui est tu ? Que fais tu ? Comment et pourquoi as tu démarré ce blog?

Je suis français, j’ai 48 ans et travaille dans le secteur culturel. J’anime le blog Yougosonic et le profil facebook qui lui est rattaché depuis 7 ans. Je m’intéresse à l’ex-Yougoslavie depuis longtemps pour des raisons d’ordre privé, j’ai appris le serbo-croate, et en 2011, j’ai eu envie de partager ma compréhension de ce territoire, d’où l’idée du blog.
L'idée de départ du blog était d'aborder l’ex-Yougoslavie principalement à travers la culture populaire, les cultures alternatives, les marges qui peuvent donner des clés de compréhension originales sur ce territoire. Ces cultures et marges m’ont toujours passionné, car elles tendent volontiers un miroir au contexte dominant. Avec le temps, les angles d’approche et les thèmes se sont diversifiés, mais c’est un processus normal d’évolution. 


Les jeunes ont-ils un avenir dans les Balkans ?

Ils ont sans doute un avenir, mais pour l’instant, ils ont surtout un passé, qu’ils n’ont pas choisi, qui ne leur appartient pas, mais dont ils subissent les conséquences et dans lequel ils sont enfermés. Ceux qui ont 18 ans aujourd’hui n’ont pas connu la Yougoslavie, ni les guerres liées à son éclatement. Pourtant, il est demandé aux jeunes, soit d’adhérer au nouveau roman national-conservateur de leur pays ou nation, soit d’être yougonostalgiques. Même si je préfère la Yougonostalgie au nationalisme, c’est un sentiment qui tend à idéaliser le passé. Et puis, comment être nostalgique d’une époque que l’on n’a pas connue ? J’ai le sentiment que la plupart des jeunes ne se retrouvent dans aucune des deux propositions.


"Jeunesse Yougo gâchée", tee-shirt vu au festival Exit à Novi Sad


Les jeunes sont ils courageux ou ambitieux, ou bien sont ils indifférents et passifs ?
On trouve tous les types de comportements décrits dans la question, mais mon sentiment est quand même que beaucoup de jeunes me semblent s’orienter et se débrouiller mieux que les adultes dans le grand désordre économique, politique et moral de la région. Ils ont su se construire des repères, ils sont très matures. Il y a une énergie, une envie d’avancer, de se prendre en main. C’est en tout cas ce que j’observe à mon niveau personnel.

Comment vois-tu les manifestations qui se déroulent en Serbie en ce moment ?

Je suis très enthousiaste face aux manifestations en Serbie, tout en restant prudent, car rien ne dit que Vučić va céder. Mais c’est un signe que l’apathie n’est pas une fatalité. Au delà de la protestation contre le régime de Vučić, je vois justement dans ces manifestations une volonté d’émancipation de cette génération «post-yougoslave», l’envie de sortir de ce passé que j’évoquais, de prendre son avenir en main. C’est symboliquement une rupture avec la société qu’ont laissé les générations précédentes. Il y a des textes très durs qui circulent sur les réseaux sociaux, avec des jeunes qui disent à leurs aînés: «nous manifestons parce que vous n’avez rien fait pendant des années pour changer la société». Cela dit, il serait inexacte de tout résumer à un conflit de générations, car de nombreux adultes, et mêmes des retraités, soutiennent les jeunes manifestants.

Penses-tu que l’expatriation des jeunes en Europe soit une tendance de plus en plus fréquente ?

L’exil des jeunes à l’étranger est une réalité indéniable. Il existe même une page facebook en Croatie qui s’appelle «Jeunes, quittons la Croatie» où l’on s’échange les bons plans pour s’expatrier. Il n’y a pas que l’aspect économique qui fait partir ces jeunes, beaucoup étouffent dans des sociétés où domine le conservatisme.


Est-ce une solution de quitter le pays ? Est ce facile ?


Je ne crois pas qu’on puisse poser les choses en termes de solution. Une phrase qui revient souvent chez les jeunes sur les réseaux sociaux, c’est «j’ai 20 ans, je veux vivre!". Les jeunes d’ex-Yougoslavie ont les mêmes envies et préoccupations que les jeunes Occidentaux. Ils vont voir les mêmes films, écoutent la même musique. Ils sont dans l’ensemble parfaitement informés de la marche du monde, via internet.

Quand le seul horizon à 20 ans, c’est d’espérer obtenir un job payé 150 euros dans un bar tenu par un mafieux, de rester vivre avec parents, grands parents, frères et soeurs dans un 3 pièces hors d’âge, et que les hommes politiques en face ne parlent que de l’avortement ou de «l’intérêt vital national», le choix est vite fait si se présente une opportunité de partir ailleurs. On ne peut pas leur jeter la pierre s'en aller Bien-sûr, ce n’est pas facile. C’est souvent très douloureux, d’autant que les liens d’amitié et de familles sont très forts en ex-Yougoslavie, davantage qu’en Occident, selon moi.



Existent-ils des exemples de jeunes qui démontrent qu’on peut s’en sortir sur place ? Connais tu des jeunes qui ont réussi à réaliser leurs objectifs professionnels ou personnels ? 


Bien-sûr! Je connais de nombreux exemples, y compris dans mon entourage proche. Beaucoup de jeunes sont engagés dans des ONG, notamment dans des mouvements pour la paix et la réconciliation dans la région. Il y a aussi des jeunes très talentueux dans le secteur culturel, dans la scène artistique. J'admire beaucoup, par exemple, le travail des jeunes mostariens qui ont créé, malgré un contexte très difficile, le Centre Abrasevic, un lieu qui est aujourd'hui réputé au delà des frontières de la région.

Des jeunes entrepreneurs se lancent, dans des domaines très divers comme l’artisanat, l’agriculture, le tourisme ou les nouvelles technologies. 


On trouve de nombreuses initiatives, mais je crois que la vraie réussite, dans ces pays où beaucoup de choses ne sont pas normales, c’est d’arriver justement à rester «normal», à garder la tête froide et à suivre son chemin. Et là, je trouve que, globalement, la jeunesse s’en sort plutôt bien.


Benjamin Crljenković de Sanski Most en Bosnie-Herzégovine:
à 18 ans, cet élève du lycée agricole de la ville a développé une petite exploitation qui alimente le marché local. Avec ses premiers bénéfices, il a pu passer son permis et s'est acheté une voiture.
Son projet est désormais de renforcer sa formation via des études supérieures en agronomie à Sarajevo (Source, en serbo-croate).


Propos recueillis par mail par Jovana Simić, pour le Festival Balkan Trafik.

Balkan Trafik: du 20 au 23 avril 2017 à Bozar, Bruxelles.
Programmation: http://www.balkantrafik.com/fr/programme-2017-du-festival/
Infos pratiques: http://www.balkantrafik.com/fr/infos-pratiques/

A noter: Balkan Trafik s’exporte et s’invitera à Paris, du 1 au 3 juin, au Palace. Yougosonic en sera probablement à l’occasion d’une table ronde consacrée au blogging sur les Balkans. Je vous en reparlerai...

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