jeudi 21 avril 2011

PAS DE CRENEAU POUR LA DECOUVERTE

Alors que démarre la saison des festivals, où, sauf exceptions, on verra partout les groupes qu’on voit partout, Yougosonic s’interroge sur le potentiel à l’export du rock yougosphérique. Vaste débat qui passionnera les foules !
Un post dédié aux rares tourneurs qui tentent d’arracher des dates pour ces groupes à des programmateurs qui n’ont "pas de créneau pour la découverte", aux organisateurs qui programmeront ces artistes malgré le risque de prendre un bouillon, aux musiciens qui feront 2500 km dans un combi hors d’âge et joueront pour 300 euros et un hébergement sur le canapé de Dédé.


Si l’info est évidemment passée inaperçue en France, elle a secoué le Landerneau médiatico-musical de la Yougosphère : The Bambi Molesters et Dubioza Kolektiv, deux groupes d’ex-Yougoslavie ont été nominés en début d’année par la fédération des labels indépendants européens "Impala". Leurs derniers albums y figurent parmi les 20 meilleures parutions indépendantes sorties en Europe en 2010.

Les premiers sont croates, formés en 95, et ont déjà pas mal tourné, notamment en Allemagne où se trouve leur tourneur. D’abord adeptes d’un surf rock'n'roll habité et décadent à la Pulp Fiction, ils ont depuis délaissé ce décorum sonore très marqué pour évoluer vers une mouvance plus new wave et introspective. On se retrouve au final dans un quelque part musical entre Nick Cave et Ennio Morricone, à découvrir le 24 mai prochain à Caen, dans le cadre de Balkan Transit.


Bambi Molesters : Pulp Fiction sur les bords de la Sava vs Nick Cave goes Adriatic


Totalement différents, les seconds sont la bande-son enragée de la Bosnie-Herzégovine de l’après guerre. Le cri de colère d’une jeunesse dépourvue d’avenir dans un pays plombé dans tous les sens du terme. Rap, ragga, dub, hardcore, electro portent leurs manifestes qu’on qualifierait en France de « citoyens », car derrière la rage se cache un engagement civique pour une Bosnie multiethnique et apaisée. Longtemps lourd et sombre, leur son a désormais muté vers une couleur plus groove et reggae qui n’exclue pas un certain humour.


 Dubioza Kolektiv : "Indignez vous" version Bosnienne vs Fat Boy Slim, Bascarsija Remix

On l’avoue, chez Yougosonic, des palmarès comme celui d’Impala suscitent un brin de scepticisme. On sait très bien que sans la machine de guerre du plan-promo calibré et la bénédiction des professionnels de la profession, qui arborent fièrement leur pass « pro », en ce moment même, dans les zones accréditées du Printemps de Bourges, nos petits rockers balkaniques n’ont que très peu de chance de franchir le seuil du Top of The Popov qui fait face à ce post, là, dans la colonne de droite.
Malgré tout, cette distinction illustre - si besoin en était - le potentiel "international" de certains groupes de rock d'ex-Yougoslavie, et prouve qu’un autre monde est possible, pour peu qu’on quitte l’autoroute qui va à Küstendorf.

 
 Nouvelle étape après l'épreuve du visa Schengen : 
le backstage pass dans un festival frenchie


Cette question de l’export du rock yougosphérique se pose d’autant plus que le rock n’est plus la chasse gardée des américains et des anglais, longtemps incarnation du canal historique. Les Espagnols nous ont envoyé leur rock basque avec Kortatu, Negu Gorriak, et des groupes comme Tokyo Sex Destruction, Ska P, Amparo Sanchez…les deux derniers profitant allégrement, il est vrai, du sillon tracé par Manu Chao. Les allemands exportent à la pelle du gothique synthétisé et du métal lourd, dont Rammstein est la marque déposée (Qui, rappelons-le, cite Laibach comme principale influence !). Les Belges ont été à la pointe de l’underground électronique et produisent aujourd’hui du rock indé, certes pas toujours original, mais qui séduit le bobo en mal d’émotions téléramo-inrockuptibles.


 Laibach : l'un des premiers succès du rock yougo à l'export

Mais quid de la Yougosphère ? Il y a eu Laibach mais ça date un peu, même s’ils sont toujours actifs et surprenants (à Bulle en Suisse le 7, Paris le 8 et Lille le 9 mai, dates uniques dans la Francosphère). On a certes Bregovic et l’orchestre des non-fumeurs, mais le lecteur attentif de Yougosonic aura déjà compris que le monopole culturel qu’exerce le premier et les affinités grand-serbes du second ont le don de m’irriter.
Quelques courageux ont réussi à amener Sopot,Vuneny, Dubioza Kolektiv, Kultur Shock, In-Sane (à Lyon le 13 mai et Genève le 14), Neozbiljni Pesimisti en terre francophone …mais avec des bonheurs divers. De la vraie tournée aux dates montées à l’arrache, les groupes ont rarement dépassé le succès d’estime. D’autant que l’organisateur qui tendra l’oreille à ces propositions sera, pas toujours mais souvent, une petite asso de passionnés pas forcément richement dotée.

 Sopot, In Sane, Kultur Shock : intermittents sur les scènes françaises


Les raisons de cette relative exclusion des circuits de diffusion sont simples à expliquer. D’abord, le rock yougo n’existe pas plus que la Yougoslavie ne demeure. Aujourd’hui, les scènes sont éclatées entre les différents pays nés de l’éclatement. Même si bien sûr, il reste des influences et un vécu similaires, allez essayer d’expliquer ce qu’est la Yougosphère à un programmateur de SMAC, qui de toute façon « n’a pas de créneau pour la découverte » …sauf pour le vieux groupe de hard ringard de Dédé qui lui permet de toucher les subs de la Région.

Ensuite, il est évident que pour le marketing culturel, vendre le son bigarré de Barcelone sera tout de suite beaucoup plus sexy que le pauvre Bosnien qui vocifère contre la corruption et l’ennui délétère qui règnent dans son enclave en plazma-keks. Le même théorème s’applique aux in-con-tour-nables fanfares, évidemment plus festives et exportables que les chansons post-traumatiques d’un Damir Avdic. Signe des temps.

 Damir Avdic : désolé, trop allumé pour être exporté !

Compliqué aussi de classer dans les bacs déjà surchargés des grandes enseignes, un musicien qui va mêler sur un même disque punk, jazz, rap, trad’, chanson et techno …car chez les ex-yougos, on reste souvent musicalement non aligné. Déjà coincé dans son bled mono-ethnique, le rocker du cru ne va pas encore s’enfermer dans un seul genre.

On rajoutera par dessus tout cela une situation économique déplorable, l’obligation pour le musicien de faire un « vrai boulot » à côté de la musique, un environnement professionnel « peu structuré », des aides inexistantes, des emmerdes systématiques aux frontières de l’Euroland, des concerts payés aux entrées …et on comprendra que le rocker yougo part avec un handicap sérieux. Handicap qui – paradoxalement - n’émousse pas la motivation de groupes comme les heureux lauréats mentionnés en début de post, et de quelques autres, qui tentent – dès que possible – l’aventure vers le Deep West.

Car ces difficultés sont peut être en réalité un atout. On n’est certes pas du genre à défendre l’idée que précarité rime avec créativité, ni adepte d’un snobisme balkanophile qui réserverait l’audience de ces groupes à une poignée de connaisseurs. Mais leur absence apparente du « music-business » est peut être un gage de leur liberté artistique …et du maintien d’un certain esprit rock’n’roll, bien plus intense à Ljubljana, Zagreb, Mostar ou Novi Sad, que dans bon nombre de nos salles subventionnées.

A l’époque du bloc de l’est, le rock était interdit en Tchécoslovaquie. Résultat : dépourvus de perspectives professionnelles, les artistes de rock créaient pour eux-mêmes et pour quelques fans, en toute liberté, sans les contraintes du marketing et des formatages. A la chute du mur de Berlin, on découvrit une scène musicale des plus créatives et originales, avec Iva Bittova, Pavel Fajt, The Plastic People of The Universe, Uz Jsme Doma, qui,  s’ils ne connurent jamais un succès « commercial » à grande échelle, ont néanmoins tourné dans le circuit underground en Occident, non sans succès. Uz Jsme Doma a par exemple joué avec les Residents. Iva Bittova a fait carrière dans le milieu free jazz. L’accordéoniste Jim Cert a travaillé avec Jello Biaffra.

Uz Jsme Doma : success story de l'underground tchèque

Le rock d’ex-Yougoslavie est évidemment différent – tant sur le plan artistique que sociopolitique, mais on peut espérer (rêver ?) que sa liberté de ton et la révolte qu’il porte parfois en lui finiront par trouver sous nos latitudes, une écoute attentive et concernée. D’autant que certains des maux qu’ils dénoncent, tels que la « rhétorique vide des politiques » (Dubioza Kolektiv) sont hélas loin d’être cantonnés aux Balkans…


Artistes cités dans ce post bientôt en concerts :
 
Laibach, tournée « Laibach Revisited » le 7 mai à Bulle (CH), le 8 à Paris, le 9 à Lille
 

In-Sane le 13 mai au Trok'Son à Lyon, le 14 à Genève au Tiki's Pub
 

The Bambi Molesters en concert gratuit le 24 mai au Cargö à Caen (14), à l’occasion du festival Balkans Transit, « Escale Croate »

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